Vingt-trois heures deux, Bryseïs ne tient pas en place. Elle repousse sa couette et se redresse dans son lit. Les mêmes images lui reviennent sans cesse en tête. Elle aimerait trouver le repos, s'endormir une bonne fois pour toute mais ce n'est pas le cas. Depuis deux jours, depuis son réveil, elle va mal. Plus que mal. Elle sombre, ou elle a déjà sombré. Ses nuits ne sont qu'insomnies et cauchemars. Le jour, ce n'est pas mieux: le temps lui semble interminablement long. Elle ne veut plus faire d'effort. Elle se sent lasse, creuse, vidée. Sur sa table de nuit, un bout de papier blanc repose. Le mot, l'unique mot laissé par Konstantinos: Adieu. Comme si cela suffisait. Était-il assez bête pour croire que ça suffirait à éclipser des mois de relation intense?

En sueur, la jeune femme fait quelques pas vers la fenêtre de sa chambre. Les deux vitres grandes ouvertes, elle respire enfin. L'air frais du soir lui donne même quelques frissons. Elle balaye les environs du regard. Même si tout paraît silencieux, elle sait qu'à cette heure ci, Stockholm grouille et s'anime. Elle sait qu'il est là, quelque part. Il va la rendre folle. Bryseïs efface la larme qui tend à couler le long de sa joue gauche et dégage les mèches rebelles qui obstruent sa vue. Soudain, une idée, un éclair. Elle sort. Dans l'instant, sans attendre, sans réfléchir. C'est impulsif, mais qu'importe! Elle a besoin de le voir. Elle croît savoir où le trouver. En quelques minutes, elle enfile une tenue banale, un vieux jean et tee-shirt blanc. Elle ne prend même pas la peine d'attraper un gilet et s'élance dans la rue, seule.

Elle a une intuition. Avec un peu de chance, elle ne se trompe pas. Ses pas l'emmènent vers la vieille ville, le quartier nord de Stockholm. La nuit, c'est LE repère de drogués par excellence. Les jeunes -ou les vieux- s'échangent les seringues, les sachets, les pilules contre un peu -ou beaucoup- de fric. Bryseïs ne s'y est jamais rendue seule. Konstantinos l'a souvent mise en garde. Une fille seule n'a rien à faire là-bas, c'est un asticot parmi une bande de piranhas. Mais ce soir, elle n'écoute ni sa raison ni sa conscience. Elle fonce, d'un pas pressé. Une fois parvenue à destination, ses yeux sont en alerte. Elle fait son possible pour ne pas se faire remarquer, pour être invisible. Elle croise un groupe de filles en petite tenue, probablement des stripteaseuses, qui lui lancent des rires narquois. On se demande ce qu'elle fiche ici, elle n'est pas à sa place. Un homme adossé contre une voiture l'observe du coin de l'œil, qui sait à quoi il pense. Elle passe devant le cinéma porno, accélère encore son pas. Soudain, un clochard à moitié ivre lui agrippe le bras. Elle a peur, elle se retient de hurler et se dégage violemment. Effrayée, Bryseïs se met à courir, loin de ce vacarme, de cette débauche répugnante. Elle halète, son cœur fragile lui fait mal. Elle le sent bondir dans sa poitrine. La jeune femme tente de reprendre sa respiration en se laissant glisser contre un vieux mur poussiéreux.